Le Père Emmanuel Gougaud, directeur du Service national pour l’Unité des chrétiens au sein de la Conférence des évêques de France, dans sa mission sur les relations avec le Judaïsme, est venu partager avec nous ce qu’il tire de sa mission auprès de nos « frères ainés dans la foi ».
Vous pouvez écouter la conférence sur le blog de Amitié Judéo-Chrétienne de Saint-Germain en Laye et Environs en suivant ce lien.
Voici le résumé de l’intervention du père Emmanuel Gougaud :
Introduction
Jadis l’Église reprochait aux Juifs le fait que leurs ancêtres étaient des déicides. En 1839 on trouvait normal que les Juifs soient considérés comme « un peuple errant », « l’exécration des peuples », « l’opprobre de l’univers ». « Le sol de Jérusalem a été sanctifié par les pas de Jésus Christ », on ne pouvait donc pas favoriser le retour des Juifs déicides à Jérusalem puisqu’ils sont responsables de sa mort.
Aujourd’hui la mentalité a changé. Jean-Paul II a dit « Qui rencontre Jésus rencontre le Judaïsme. » Nous avons besoin de rencontrer le Judaïsme pour ne pas être atrophiés dans notre Foi, pour que celle-ci ne soit pas réduite à quelques valeurs morales ou à une simple culture religieuse. Il nous faut entretenir notre « Judaïsme intérieur » et pas seulement rencontrer des Juifs. Le jugement porté au préalable par les chrétiens sur le peuple déicide est le fruit de la méconnaissance du Judaïsme. Donc le Judaïsme transforme notre foi de chrétiens.
I- Histoire
Pendant longtemps les chrétiens ont éprouvé du mépris, un esprit de revanche vis-à-vis du Judaïsme. Nous avons réduit la mission de Jésus à celle d’effacer le péché originel en mourant sur la croix. Or sa mission est beaucoup plus vaste que cela : Il vient achever le projet de Dieu qui est de nous faire vivre de Sa vie.
« Il a parlé par ses prophètes ; maintenant il nous parle par Son Fils. » Il fallait des responsables à la mort de Jésus pour qu’il puisse remplir sa mission : il était commode d’accuser les Juifs. Mais en même temps leur présence prouve la véracité de l’Évangile : puisqu’ils sont toujours là, ils étaient déjà là au temps de Jésus. En 1947, Jules Isaac décrit l’enseignement du mépris.
Les choses évoluent avec le Concile Vatican II malgré les difficultés politiques (Nostra Aetate). Il apparaît que le Judaïsme est dans l’ADN de l’Église, nous devons retourner à nos racines, nos relations avec le Judaïsme sont entachées par le déicisme. Des idées anciennes sont abandonnées : le Dieu des Juifs est méchant contrairement au Dieu de Jésus (cf. dualisme de Marcion), le Dieu de l’Ancien Testament a tué les Égyptiens, on n’a plus besoin de lui (cf. modalisme). Le Concile affirme que ce ne sont pas les Juifs qui ont tué Jésus mais le mal dans le monde. Le Concile présente cependant quelques faiblesses, en particulier il évite le sujet de la Terre d’Israël.
En 1997 les déclarations des évêques de France réunis à Drancy vont inspirer un document de Rome. En 2015 la Commission pour les relations religieuses avec le Judaïsme publie « Les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables » (Rm 11, 29), une réflexion théologique sur les rapports entre catholiques et juifs à l’occasion du 50ème anniversaire de Nostra Aetate
II- Rencontrer Jésus c’est rencontrer le judaïsme
Le démon dit à Jésus : « Je sais qui tu es ». Savoir n’est pas rencontrer. On peut connaître la vie de Napoléon. Mais Jésus n’est pas simplement un grand homme du passé comme Napoléon. Les orthodoxes parlent de « l’économie du salut ». L’économie c’est tout ce que Dieu fait pour nous faire vivre de sa vie, le Projet de Dieu pour nous : Il s’intéresse à nous pour entrer en relation avec nous.
1- Les personnes de l’Ancien Testament ont permis que le projet de Dieu se réalise dans leur histoire ; en les regardant accueillir ou non le projet de Dieu nous pouvons voir comment accueillir à notre tour le projet de Dieu.
Exemple du prophète Osée : il est l’image d’Isarël qui se prostitue en adorant d’autres dieux mais grâce au pardon retrouve l’union avec Dieu. Comment être à notre tour prophète de Dieu à travers nos existences les plus banales ?
2- Le judaïsme permet de comprendre comment et pourquoi Jésus agit. Par exemples :
– pourquoi dit-on que Jésus agit comme une personne d’autorité et non comme un scribe (un scribe se contente de commenter les textes)
– Il y avait 613 commandements pour encadrer la vie des Juifs depuis le lever jusqu’après les coucher ; d’où la question quel est le plus grand commandement ?
– le bon samaritain : les juifs et les samaritains ne s’aimaient pas beaucoup. Jésus leur prouve que leur ennemi peut faire le bien, et mieux, il se dit lui-même comme le samaritain, il anticipe sa propre mort, annonce que lui aussi sera rejeté.
– la Cène : l’évangile de Saint Jean ne présente pas que le dernier repas de Jésus comme celui de la Pâque, mais Jésus meurt au moment où on égorge les agneaux pour la Pâque. C’est Jésus l’agneau pascal véritable, il s’offre seul en sacrifice.
NB Dans la tradition juive il y a 3 agneaux :
1- celui de Pâque innocent et offert en sacrifice ;
2- le bélier auquel Moïse est comparé, c’est lui qui guide le peuple (quand Jean-Baptiste présente Jésus comme l’Agneau de Dieu, il le présente comme le Sauveur qui prend la tête du peuple d’Israël) ;
3- Isaac ligaturé puis échangé avec le bélier (dans la mentalité ancienne du donnant/donnant, plus ce que l’on demande est important plus le sacrifice doit être important, d’où le sacrifice du fils premier né qui est ce que l’on a de plus cher)
Jésus est les 3 agneaux à la fois. Il échange notre place : en se faisant homme et serviteur, il nous fait entrer dans la maison de son Père.
Conclusion
Pour ne pas avoir un christianisme amoindri, il est important de rencontrer le judaïsme.
Le christianisme et le judaïsme ont en commun l’attente messianique c’est-à-dire un temps de paix universelle (Jésus ne l’a pas établi). C’est à nous d’instaurer cette paix universelle par notre vie de tous les jours (cf. Saint Paul)
Quelques mots sur le seder de Pessah en rapport avec la transmission :
A la fin de la conférence, Frédérique a été invitée à témoigner sur le Séder de Pessah en rapport avec la transmission.
Seder est traduit par ordre, ordonnancement. Pessah est Pâque, la sortie d’Egypte.
Le seder de Pessah tel qu’il se déroule de nos jours a été élaboré après l’an 70, après la destruction du Temple par les romains. Destruction qui avait rendu impossible le sacrifice de l’agneau pascal qui ne pouvait se faire qu’au Temple. Pendant 1000 ans la vie juive avait été organisée autour du Temple à Jérusalem. Les sages ont alors réfléchi à une autre façon, sans le Temple, de transmettre la sortie d’Egypte.
La libération de l’esclavage de l’Egypte marque le passage des enfants d’Israël d’une famille à celui de peuple.
Comment permettre une transmission au niveau de tout un peuple qui n’enferme pas ses membres dans la tyrannie de la pensée unique ? Les sages vont faire reposer la transmission sur trois piliers : le récit, les questionnements, les actes.
Le seder pose un cadre à l’intérieur duquel il y a la liberté de questionner. Ainsi va se créer un maillage très souple mais extrêmement solide entre la fidélité à la tradition et le renouvellement.
Les enfants sont au centre du seder « tu raconteras dans l’oreille de ton fils et du fils de ton fils » la sortie d’Egypte, exode chapitre 10 verset 1. La liturgie commence après que les enfants présents autour de la table aient demandé : en quoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres nuits ?
Puis les sages mettent en scène 4 enfants qui représentent 4 archétypes, 4 façons de recevoir la grâce immense qui nous avait été faite de nous délivrer de l’esclavage. Chacun va poser sa question et les sages vont répondre aux questions des 4 enfants.
- Il y a l’enfant capable de discernement qui a conscience de l’extraordinaire de cette nuit et qui va demander [en langage contemporain] quelle est cette loi qui nous libère ?
- Il y a celui qui est dédaigneux et qui dit en quelque sorte : être serviteurs de pharaon ou serviteurs de Dieu n’est-ce pas être toujours dans la servitude ?
- Celui qui n’a pas fait d’étude, il est naïf voire un peu simple, il peut juste interroger : qu’est-ce que tout cela ?
- Et il y a celui qui est tellement éloigné de l’histoire sainte qu’il n’a pas les mots pour poser la moindre question. De la sorte chacun autour de la table quel que soit son degré de connaissances et de foi est invité à parler.
Nous arrivons à la fin du seder. Sur le plateau se trouvent 3 matsots, 3 pains non levés, pain de misère « voici le pain de misère que nous avions en Egypte, quiconque a faim vienne et mange ». Il est d’usage de ne pas fermer sa porte cette nuit-là pour accueillir qui se présentera. Un adulte a pris la matsa du milieu et l’a cachée. Elle porte le nom d’afikomane. Les enfants la cherchent. Une fois celle-ci trouvée, elle est partagée entre tous et plus rien ne doit être consommé après ce pain de misère. Depuis la destruction du Temple l’afikomane vient se substituer à l’agneau.
Puis chacun prononce la phrase ancestrale « l’année prochaine à Jérusalem ».
Durant le seder nous avons vécu, et non pas commémoré, la sortie d’Egypte qui a eu lieu voilà 3500 ans. Nous avons bu 4 coupes de vin (ou de jus de raisin) puis une cinquième coupe est remplie.
Elle ouvre à l’avenir car elle est pour le prophète Eli dont la venue attendue précédera celle du Messie.